AVIS CFM
AVIS N° 4-2022
04 NOVEMBRE 2022
MESURE DE RETENUE A LA SOURCE SUR HONORAIRES ET REMUNERATIONS
VERSES AUX TIERS PREVUE PAR LE P.L.F 2023
Articles 4-IV, 15 bis, 45 bis, 58-II-C, 151 et 157 du CGI
La retenue à la source (RAS) est une technique de prélèvement de l’impôt employée dans de nombreux systèmes fiscaux. Elle est opérée pour le compte de l’Etat par un tiers payeur tels qu’une banque (revenus de capitaux mobiliers) ou un employeur (revenus salariaux). Le tiers payeur agit en tant que collecteur d’impôt pour le compte de l’Etat. La RAS constitue une avance sur l’impôt imputable sur celui-ci dans le cas où elle est non libératoire. Elle correspond au montant définitif de l’impôt dans le cas contraire.
Au Maroc, la RAS constitue l’une des particularités de l’imposition des revenus salariaux depuis l’instauration de l’I.R. Elle est aussi adoptée comme mode de prélèvement de l’I.R dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et, plus récemment dans la catégorie des revenus fonciers (à partir du 1er janvier 2019). On la retrouve également dans l’imposition de certains produits soumis à l’I.S.
1.MESURE / P.L.F 2023
Le P.L.F 2023 propose la mise en place d’une retenue à la source (RAS) sur les honoraires et rémunérations versés aux tiers visant les personnes soumises à l’impôt selon le régime du résultat net réel ou simplifié, percevant des honoraires, commissions, courtages et autres rémunérations de même nature. L’imposition sera effectuée par voie de retenue à la source au taux non libératoire de 20%. L’impôt prélevé est imputable sur l’impôt global avec droit à restitution. Réf. : Articles 4-IV, 15 bis, 45 bis, 58-II-C, 151 et 157 du CGI.
Les rémunérations allouées à des tiers soumises à la retenue à la source sont les honoraires, commissions, courtages et autres rémunérations de même nature, versés, mis à la disposition ou inscrits en compte des personnes morales ou des personnes physiques dont les revenus sont déterminés selon le régime du résultat net réel ou celui du résultat net simplifié.
Ces mesures sont applicables aux rémunérations allouées à des tiers à compter du 1 er janvier 2023.
2. PROBLEMATIQUE ET ANALYSE
L’examen de cette mesure proposée par le PLF 2023 nous amène à relever les éléments d’analyses suivants :
- Notre système fiscal, qui est déclaratif, fait que les éléments servant de base au calcul de l’impôt (IS ou IR)) sont déclarés par le contribuable lui même et qu’ils bénéficient d’une présomption d’exactitude. Le changement de paradigme proposé par le PLF risque de détériorer davantage un environnement, où une part significative de la population des contribuables, continue à être marquée par le manque de civisme fiscal, où la confiance entre contribuable et administration fiscale, reste sujette à un grand débat. En outre, la retenue à la source est un mode de taxation utilisé davantage pour les contribuables particuliers et pour certains revenus (salaires et revenus de valeurs mobilières) alors que pour les entreprises soumises à la comptabilité, c’est le système déclaratif qui prévaut dans la grande majorité des pays.
- Pour les personnes morales, la DGI dispose déjà des moyens de recoupements à travers l’état des rémunérations versées à des tiers et à travers les déclarations de la TVA et les tableaux des déductions. Ces recoupements permettent déjà à l’administration de drainer des montants importants de recettes au titre des redressements. De ce fait, la mise en place de la RAS ne se justifie pas. Par ailleurs, la mission principale de la DGI consiste à assurer les recettes fiscales à travers notamment le contrôle qui constitue une dimension importante eu égard à la prédominance du système déclaratif d’autant plus que, ces dernières années, l’administration fiscale s’est dotée de moyens humains et techniques conséquents pour mener à bien cette mission.
- La nouvelle procédure de taxation risque d’être contre-productive. Elle risque d’encourager l’incivisme fiscal auprès d’une population de contribuables qui a l’habitude de déclarer régulièrement ses revenus dans le respect des exigences de la réglementation fiscale. Si l’objectif est d’élargir l’assiette fiscale et d’appréhender les honoraires versés par des particuliers, le procédé de la RAS cible davantage les rémunérations versées à des contribuables déjà soumis aux obligations comptables et fiscales.
- La RAS proposée suppose, à tort, que les prestataires de services réalisent 100% de marge sur les honoraires facturés. Cela revient à une sorte de taxation ou de ponction du chiffre d’affaires de 20%. Ce taux d’imposition rapporté au résultat devrait avoisiner les 60% pour une population de contribuables constituée essentiellement de TPE soumise actuellement, le plus souvent, à un taux d’I.S de 10%.
- Le calcul des bénéfices étant basé sur les créances acquises, une prestation facturée non encaissée à la fin de l’exercice sera imposée à la retenue à la source au moment de son encaissement alors qu’elle aura été soumise au préalable à l’impôt sur les bénéfices (IS ou IR) à la clôture de l’exercice. Ceci engendre une double imposition qui impactera la trésorerie des entreprises.
- L’imposition par voie de retenue à la source au taux non libératoire de 20% prévoit l’imputation sur l’impôt global (IS ou IR) de l’impôt prélevé avec droit à restitution. Néanmoins l’expérience montre que les demandes de restitution risquent de suivre le parcours du combattant eu égard à la lenteur et à la bureaucratie de notre administration.
- Compte tenu du niveau élevé de la retenue à la source (20%), les contribuables vont se retrouver souvent avec une trésorerie tendue qui ne leur permettra pas de s’acquitter convenablement de leurs charges d’exploitation classiques (personnel, loyer, frais divers de gestion…). Cette difficulté sera d’autant plus grande que ces entreprises vont devoir attendre l’établissement de leurs déclarations fiscales annuelles et le traitement de leurs demandes de restitution du trop-perçu en IS ou en IR avant d’espérer un soulagement de leur trésorerie. Par ailleurs, la retenue à la source, qui représente une avance sur l’IS, ferait double emploi avec les quatre acomptes dont les sociétés s’acquittent régulièrement.
- La nouvelle mesure de prélèvement à la source va engendrer plus de charge de travail et des coûts supplémentaires pour les entreprises et pour les professionnels des chiffres. En effet, la RAS exige l’élaboration des déclarations et des versements ainsi que la mise en place d’une organisation comptable spécifique aussi bien pour les prestataires que pour leurs clients. Aussi, ce mode de paiement devrait générer plus de contentieux avec l’administration eu égard notamment aux demandes de restitution qui vont foisonner.
3. AVIS DU CFM
La retenue à la source constitue une modalité du recouvrement de l’impôt sur le revenu, en particulier en ce qui concerne les salaires et les revenus des valeurs mobilières et les sommes versées à un non-résident fiscal du pays. Dans ce système, le prélèvement de l’impôt est effectué directement par celui qui verse le revenu (employeur, banque) sur le montant des revenus effectivement versés au bénéficiaire. Les retenues ainsi opérées sont versées au fisc, elles sont définitives sous réserve des ajustements nécessaires en fin d’exercice. Les avantages sont bien connus : en premier lieu, elle permet une régularité des rentrées fiscales en étalant la perception des recettes tout au long de l’année. Elle réduit les frais de collecte et simplifie également le travail de l’administration fiscale qui se décharge de ses tâches d’assiette et de recouvrement sur un nombre relativement réduit de collecteurs d’impôt.
Cependant, on doit remarquer que la mise en place de ce prélèvement à la source susvisé prévu par la PLF 2023, basé sur le chiffre d’affaires, peut se heurter à des obstacles techniques et organisationnelles exposées ci-haut. En effet, cette technique d’imposition est incohérente avec le système déclaratif marocain et risque de produire l’effet inverse en encourageant le recours à l’informel ! Dans la grande majorité des pays, elle est utilisée essentiellement en matière de taxation des revenus de capitaux mobiliers, des revenus salariaux ou revenus versés à des non-résidents fiscaux.
La retenue à la source dissimule la pression fiscale et présente plus d’inconvénients que d’avantages. Elle risque d’encourager la sous déclaration et d’altérer la relation de confiance entre l’administration et les contribuables. L’administration fiscale pourrait plutôt s’atteler davantage à l’élargissement de l’assiette et au renforcement du contrôle qui constituent une dimension cruciale dans un système fiscal globalement déclaratif et qui peut jouer un rôle dissuasif et pédagogique de grande importance. Aussi, la performance du système d’information et la disponibilité des données permet de promouvoir l’intégrité du système fiscal et de lutter contre diverses formes de non-conformité ou d’incivisme fiscal. La promotion de la conformité volontaire passe par l’encouragement du système fiscal déclaratif et par l’amélioration de la qualité de service et de la simplification des procédures qui demeurent les garants d’une meilleure qualité des interactions avec les contribuables.
En guise conclusion, pour les motifs exposés ci-dessus, le Cercle des Fiscalistes du Maroc recommande l’abandon de la mesure relative à la retenue à la source sur les honoraires et rémunérations versés aux tiers, prévue par le P.L.F 2023.
Mohamadi EL YACOUBI
Président