Pour les entreprises, l’instauration d’un relevé détaillé du chiffre d’affaires
poussera à plus de sélectivité dans les portefeuilles clients et à plus de rigueur dans la tenue de la comptabilité. Le dispositif permettra au fisc de brasser une grande quantité d’informations et de traquer efficacement la fraude à travers le recoupement. A partir de janvier 2018, les contribuables doivent utiliser des logiciels de facturation connectés à une centrale tenue auprès de la DGI.
Les jeux d’écritures et dissimulations sur les postes de charges et de produits seront désormais moins aisés. La Loi de finances 2018 vient d’instaurer, dans son article 20, l’obligation de fournir expressément au fisc les noms de tous les clients avec lesquels se font les ventes. Jusqu’ici, les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et les personnes physiques soumises à l’impôt sur le revenu selon le régime du résultat net réel ou simplifié n’avaient pas l’obligation de déclarer les ventes qu’elles réalisent avec les autres entreprises soumises à la taxe professionnelle. «Dans le cadre de la lutte contre l’informel et la fraude fiscale et afin de renforcer les moyens de recoupement des données permettant de détecter les niches de fraude, le législateur a institué l’obligation de joindre aux déclarations de résultat fiscal un état des ventes par clients soumis à la taxe professionnelle», lit-on dans un document du ministère des finances. Techniquement, l’énoncé de la mesure concerne toutes les entreprises, étant donné que l’ensemble des opérateurs paient la taxe professionnelle. Toutefois, les experts comptables relèvent que l’esprit de la disposition devra ne retenir que les clients personnes physiques qui représentent une niche particulièrement touchée par la fraude fiscale et opérant dans une large mesure dans l’informel. «Il se peut que l’administration fiscale, à travers la note circulaire, vienne réduire le périmètre des clients concernés en le rendant exclusif aux entreprises personnes physiques qui ont le régime forfaitaire ou la patente», explique Mehdi El Fakir, expert comptable et directeur associé du cabinet Ad Value audit and consulting. Partant du fait que pour le reste des entreprises plus transparentes et structurées -qui elles aussi paient forcément la taxe professionnelle, les moyens de recoupement existent bel et bien et le fisc est largement bien outillé pour détecter les anomalies sur les postes de produits et de charges des deux côtés. Quoi qu’il en soit, les spécialistes trouvent la mesure très louable du moment qu’elle poussera à plus de sélectivité dans les portefeuilles clients et à plus de rigueur dans la tenue de la comptabilité.
Suivi comptable amélioré et plus informatisé
Pour pouvoir produire le relevé annuel des ventes par client rendu obligatoire à partir de 2018, il faudra améliorer la tenue des livres comptables et y mettre les moyens techniques. Résultat : le suivi comptable sera amélioré et plus informatisé. «Les contribuables négligent la tenue de leur comptabilité et ne tiennent leurs comptes que parce qu’ils y sont tenus par la réglementation. Désormais, ils seront amenés à gérer de manière beaucoup plus rigoureuse et structurée leur poste de chiffre d’affaires réalisé avec les grands comptes mais surtout les petits clients», explique
un associé d’un grand cabinet. Pour lui, cela s’impose aux opérateurs suite à la généralisation de la télé-déclaration et le recours à l’ICE pour identifier les factures des contribuables. Le fait de ne pas mentionner l’ICE est sanctionné par une amende de 100 DH, au même titre que toute omission ou inexactitude relevée dans les déclarations fiscales (sur la forme). Autre avantage de la mesure, elle consolide les garanties et droits du contribuable face à la direction des impôts. En donnant le détail d’un poste, l’entreprise se met dans une posture de transparence entière qui rend de fait à la charge de l’administration d’apporter la preuve si ses agents se font des
doutes sur des écritures données, explique en substance M.ElFakir.
L’achat de factures deviendra sans intérêt
Du côté du fisc, on insiste sur le fait que cette mesure s’inscrit dans la continuité d’une batterie de dispositions entamée depuis trois ou quatre ans déjà et qui s’attaquent toutes à la fraude et vont de pair avec l’amélioration des systèmes de l’administration. «Il est vrai que l’entreprise déclarante sera obligée de penser à la transparence avant de nouer des relations d’affaires. Mais c’est surtout du côté du client que l’apport est important pour l’administration fiscale. En ayant une raison sociale sur un relevé de ventes, nous devrons trouver la charge automatiquement chez le client. Le recoupement devient ainsi très facile et les anomalies aisément détectées», commente un responsable. Le management du cabinet d’affaires ML experts abonde dans le même sens. «Le dispositif devra permettre au fisc de brasser intelligemment une grande quantité d’informations et de traquer efficacement la vraie fraude». A en croire les sources de la DGI, ce nouveau dispositif, qui sera amélioré d’année en année suivant les remontées de terrain, aura le mérite de mettre un terme à des phénomènes très nuisibles tel que l’achat de factures. «Quand un opérateur achète une facture pour augmenter ses charges, on devra le retrouver dans l’état détaillé de chiffre d’affaires du vendeur. L’étau se resserrera clairement sur les opérateurs les moins scrupuleux», explique-t-on auprès de l’administration fiscale.
La portée de ce type de mesures sera amplifiée si on les met en corrélation avec les autres dispositions contenues dans la Loi de finances. A leur tête, l’obligation faite aux contribuables soumis à l’IS et l’IR professionnel (régime RNR et RNS et assujettis à la TVA) à partir de janvier 2018, d’utiliser des logiciels de facturation connectés à une centrale tenue auprès de la Direction générale des impôts.
Cela dit, la profession comptable estime qu’il faudra aller progressivement dans l’adoption de telles réformes. Après la télédéclaration, l’état explicatif du déficit, l’obligation de l’ICE, il semble plus judicieux de donner le temps au marché, aux opérateurs et aux professionnels de la comptabilité et de l’audit pour s’adapter et assimiler toutes ces petites révolutions dans les pratiques comptables, soutient M. El Fakir. Il recommande par exemple de commencer par les grandes entreprises d’un certain niveau de chiffre d’affaires avant d’intégrer les plus petites.
Source : La vie économique